Rencontre avec Bertrand Bourdil

Château Chérubin - Saint-Émilion

Bertrand Bourdil. Son nom ne vous évoque peut-être rien. Sûrement en raison de sa grande discrétion mais nous sommes certains que les noms de Mouton Rothschild ou Opus One vous parlent ! Bertrand en a été le directeur technique pendant plus de vingt ans et a obtenu avec son équipe deux 100/100 au Wine Advocate dans les années 80. Aujourd’hui, Bertrand œuvre loin des feux des projecteurs sur sa propriété familiale à Saint-Émilion, le Château Chérubin. Sur ce terroir magnifique, il façonne un vin que certains définissent tel un « Pomerol par son attaque en bouche avec la finale d’un Pauillac”. 

Chaque moment passé avec Bertrand et sa famille est un réel plaisir pour l’équipe de Vignobles et Châteaux. Au gré d’une visite dans les vignes, de la dégustation d’un millésime ou d’une conversation autour d’un bon repas, Bertrand nous abreuve d’anecdotes ou d’expériences. Cette passion est communicative. Nous n’en perdons pas une goutte ! C’est avec notre plus grand bonheur que Bertrand a accepté de se confier sur sa carrière, sa vision du métier et son nouveau quotidien au Château Chérubin. Une rencontre sensible et très personnelle avec ce grand monsieur qui aime vivre caché. 

Quels ont-été les temps forts de votre carrière ?

À 23 ans, j’ai eu une opportunité, celle qui change toute une vie. Alors que je faisais de la recherche, le responsable du laboratoire m’a informé que Mouton Rothschild recherchait un œnologue. C’était en 1977. Je me souviens avoir accepté sans hésitation! Voilà comment je me suis retrouvé à 23 ans avec 41 personnes à gérer réparties sur trois chais : Clerc Milon, d’Armailhac et Mouton Rothschild à Pauillac. C’était un début intense mais j’ai rapidement pris mes marques et me suis familiarisé avec mes nouvelles responsabilités.

Le second temps fort a lieu en 1980 au moment où un accord a été signé avec Mondavi pour un projet en Napa Valley, Opus One. J’avais pour mission de définir l’identité de ce vin. Alors, j’ai suivi pendant trois ans le processus de production jusqu’à l’assemblage en me rendant sur place plusieurs fois chaque année.

Quelles décisions avez-vous prises au cours de votre carrière qui vous ont fait le plus grandir ?

Après des années dans les chais à Mouton, j’ai décidé d’évoluer vers un rôle de directeur technique pour les propriétés, avec la gestion des vignes et du vin. Puis, j’ai décidé de prendre un virage vers le côté commercial. Je suis devenu Key Account Manager pour l’Europe du Nord chez Barons Philippe de Rothschild. Cette dernière expérience sur le terrain a été extrêmement enrichissante !

Quels enseignements tirez-vous de cette expérience au contact des marchés ?

Si la rigueur habite le technicien, le vendeur a besoin de beaucoup de psychologie pour mettre en confiance l’acheteur. Il ne faut pas avoir peur de partir sur le terrain avec les vendeurs, d’impliquer les responsables de vente… En bref, il faut savoir relever les manches pour que la relation que l’on construit avec l’acheteur prenne une autre dimension. Aujourd’hui, cela m’est bien utile au Château Chérubin. Avoir un bon contact avec son réseau de ventes, c’est essentiel !

 

J’ai été un maillon de toute une chaîne. En tant que directeur technique, j’avais la chance de pouvoir m’appuyer sur une équipe qui savait ce qu’un vin de qualité signifiait.

Bertrand Bourdil

Quelle a-été votre plus grande chance ?

J’ai été un maillon de toute une chaîne. En tant que directeur technique, j’avais la chance de pouvoir m’appuyer sur une équipe qui savait ce qu’un vin de qualité signifiait. J’ai toujours écouté Raoul Blondin qui a été le maître de chai de chez Mouton pendant plus de 50 ans ! Il avait une telle culture de tous les millésimes, c’était un bonheur pour moi ! Sur la décennie 80, nous avons eu deux 100/100 au Wine Advocate : 1982 et 1986. Cela a été une grande décennie pour nous ! 

Comment avez-vous fait la transition vers votre projet, Château Chérubin ?

Après 20 années chez Mouton, j’ai eu l’envie de développer ma propre structure. Dans le Médoc à Pauillac, Saint Julien ou Margaux… aucun terrain n’était accessible pour mon budget et en même temps Saint-Emilion me plaisait beaucoup.

En 1997, j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’Union des Producteurs de Saint-Emilion en tant que directeur tout en ayant un accord pour continuer mes activités de conseil aux USA avec Mondavi ainsi qu’en Espagne et en Argentine. Ces expériences en parallèle m’ont permis de lever des fonds et de continuer à acquérir de l’expérience sur des terroirs et des défis techniques divers.

Comment le projet du Château Chérubin est-il né ?

La période de 1997 à 2006 à l’Union des Producteurs de Saint-Emilion a été une véritable passerelle. J’ai pu observer les terroirs, déguster les lots et faire les vins. J’ai également pu me rapprocher des producteurs et c’est grâce à ce réseau que j’ai été informé de la vente d’une parcelle qui me plaisait beaucoup. Nous nous sommes mis immédiatement d’accord avec la famille qui cédait ce beau terroir. C’est le démarrage de l’aventure de Chérubin, un 31 juillet 2005.

Pourquoi ici et pas ailleurs ?

J’ai décidé de poser mes valises sur ce terroir précisément car après avoir tourné pendant 10 ans sur l’appellation, j’avais identifié de nombreuses parcelles et surtout j’avais parlé avec les anciens. Je me souviens qu’un jour, l’un d’eux m’a lancé : « Ah ! Tu veux acheter là ? Tu feras de bons vins ! ». C’était une décision prise sur l’observation, l’analyse gustative du raisins et par la suite j’ai complété avec des études des sols pour avoir plus de précisions.

Qu’est-ce qu’un “bon” raisin selon vous ?

Le bon raisin c’est simple. C’est comme le bon parfum. C’est équilibré, aromatique et complexe avec différentes notes qui se développent. Une fois la dégustation faite, vous avez de la persistance aromatique. En parallèle, la qualité des tannins fait un grand vin et ils sont donnés par la qualité du sol. À Chérubin, nous sommes au cœur d’une veine de 12 hectares où il y a de la crasse de fer et cela participe avec les argiles à donner une forte personnalité au vin. 

Quelle est votre approche de la viticulture et de la vinification ?

La qualité des raisins vient du sol et ensuite, c’est une association de détails qui arrive à faire une différence. Il faut être observateur et s’inspirer des meilleures écoles. Par exemple, j’ai gardé l’éraflage à la main de Mouton ou encore l’élevage à 100% en barrique neuve. Aujourd’hui, j’ai le recul nécessaire pour ajuster avec précision mes connaissances techniques sur la maturité des raisins, sur les méthodes d’extraction…

Revenons sur un point essentiel : la conduite de la vigne. Je travaille selon les principes de la biodynamie sans labellisation, c’est-à-dire plus d’engrais chimiques depuis 2009. Pour la petite histoire, un jour ma mère en dégustant les 2008 me dit « Bertrand, tes vins ont le goût de l’herbe! ». A l’époque, on semait entre les rangs et tondions cette herbe qui se dégradait naturellement. Cela a piqué ma curiosité et j’ai décidé l’année suivante de travailler les sols et de ne plus enherber les rangs. Depuis, je sème du trèfle et du seigle un rang sur deux à l’automne pour créer de la matière et cela permet au sol de s’auto entretenir. Après broyage, ce mulch de paille séchée intégré dans la terre permet de limiter l’évaporation naturelle des sols. 

 

Comment aimez-vous parler de vos vins ?

J’ai reçu un ancien journaliste du Figaro, Bernard Burtschy qui, après la dégustation d’une verticale de 10 années, m’a dit : “ Votre vin à l’attaque en bouche d’un Pomerol avec la finale d’un Pauillac”. J’ai trouvé ce commentaire sympathique. Il est vrai que j’essaie d’avoir cette tonalité de douceur et d’équilibre en attaque mais j’aime les vins qui ont de la matière car j’ai été construit dans cet univers. 

Pourquoi tenez-vous à commercialiser principalement des millésimes prêts à boire ?

Lorsque j’étais à la tête de Mouton, je me souviens d’une dégustation au Château Ausone du millésime 1964. C’était d’une grande élégance avec des facettes polissées et un superbe bouquet de vieillissement. Ce grand vin de Saint-Emilion reste mon fil conducteur dans ce que je recherche. 

Puis, quand j’ai démarré Chérubin, proposer des millésimes avec un peu d’âge était aussi ma manière de me distinguer des autres. L’idée est de s’adresser à une clientèle qui a envie de craquer pour un millésime prêt à boire. 

Quelle est l’organisation familiale autour de ce projet ?

Mes deux filles sont partenaires tout comme mes deux garçons plus jeunes ainsi que Magali. Mes filles ont suivi des cursus qui leur permettent d’apporter leur pierre à l’édifice. Par exemple, Marie-Line a réalisé le site internet et nous avons écrit les textes ensemble. Carole a fait son mémoire de fin d’études sur le Château Chérubin ce qui a permis d’avoir une bonne analyse de départ : produire peu et bon. Et les garçons sont présents à la propriété pendant les vacances.

Pourquoi avoir choisi ce nom ?

Auparavant, la propriété s’appelait Vieux Fonrazade, nous voulions changer cela. Un jour, je découvre un fascicule sur Saint-Emilion avec en couverture les deux chérubins de la voûte de l’église monolithe. Chérubin, le nom est trouvé ! De plus, c’est un clin d’œil qui rapproche en toute discrétion notre projet de Saint-Émilion.

Expliquez-nous votre choix d'une stratégie de commercialisation de proximité.

Dans la philosophie de Chérubin, j’ai toujours préservé la distribution en créant des liens forts avec les représentants aussi bien sommeliers, cavistes, distributeurs ou comme vous avec Vignobles et Châteaux. Créer des relations simples, fortes et saines m’importe beaucoup. 

Portrait

Un film : The Wall, Allen Parker

Musique : Pink Floyd 

Livre : Le Petit Prince, Antoine de St Exupéry

Un millésime : 1945 à Mouton

Un plat : une lamproie au Chérubin

Une bouteille mémorable : Palmer 1979, une élégance extraordinaire. Mouton 1893, extraordinaire… le temps s’étire. 

Un cépage : Cabernet Sauvignon du Médoc, Merlot et Cabernet Franc. Ce sont mes trois cépages favoris

Une odeur : fleur de vignes

Un dimanche parfait : aller au Mimbeau au Cap Ferret et manger des huîtres 

Photos et propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux

 

Intéressé pour en savoir + ?

Contactez un conseiller Vignobles et Châteaux pour obtenir des renseignements concernant les vins liés à cet article.
Nous contacter