Rencontre avec Véronique Dausse

Château Phélan Ségur - Saint-Estèphe

Depuis plus de quinze ans, Véronique Dausse incarne l’âme du Château Phélan Ségur. Située au cœur de l’appellation Saint-Estèphe, cette propriété familiale se distingue par ses 70 hectares de vignes qui s’étendent sur un terroir d’exception, donnant naissance à des vins équilibrés, frais et précis.

En tant que directrice générale, elle préserve l’héritage de cette propriété emblématique de Saint-Estèphe tout en insufflant une dynamique de modernité et d’innovation. Sous sa direction, Phélan Ségur a relevé de nombreux défis : affirmer sa place parmi les plus grands et renforcer sa notoriété mêlant tradition viticole et gastronomie.

Dans cette interview, Véronique Dausse nous ouvre les portes de son quotidien, partage ses plus beaux souvenirs et dévoile les ambitions qui continuent de guider son équipe vers l’excellence. Entre défis techniques, valorisation des équipes et quête constante de précision, elle nous livre une vision passionnée.

Quel est votre état d’esprit du moment ?

J’ai récemment eu une conversation avec le propriétaire où il me disait : « nous sommes des battants ! ». Le contexte est difficile mais le projet est passionnant. Pour moi, le vrai défi est de réussir à faire progresser la propriété. Il y a deux dimensions à cela. Sur la partie technique, les vins ont vraiment pris leur envol et je pense qu’ils n’ont jamais été aussi bons qu’aujourd’hui. En second, la réussite repose sur la reconnaissance et l’acceptation de cette qualité. À ce titre, les journalistes et les critiques nous notent parmi nos confrères classés. 

Qu’est-ce qui vous a convaincu dans ce projet ?

Le projet m’a plu car Château Phélan Ségur était déjà installé et reconnu dans son créneau. En revanche, casser le plafond de verre d’une propriété en dehors de tout classement était exaltant. C’était un beau challenge que l’on a construit petit à petit.

Quelles ont été les grandes étapes en quinze ans à la tête de la propriété ?

Sur ces quinze années, nous avons connu deux propriétaires, avec une passation en 2018. La famille Gardinier a eu une vision précise de son vignoble et de son business model. Elle a su positionner la marque Phélan Ségur ainsi que ses vins à un très haut niveau grâce à des investissements importants et pertinents. Mon poste a été une création car Thierry Gardinier avait besoin de quelqu’un pour faire vivre la propriété au quotidien. Même si pendant deux ans j’ai dû faire ma place, cela a fonctionné pour deux raisons : il m’a fait confiance et m’a donné les clés.

En 2010, la vente de 20 hectares au Château Montrose a ramené le vignoble de Château Phélan-Ségur à 70 hectares, son point d’équilibre. Toutefois, il a fallu réorganiser l’entreprise, se séparer de vignerons et se réinventer avec des parcelles en moins, dont nos vieux cabernets francs. 

En 2018, Philippe Van de Vyvere, industriel belge et grand amoureux des vins de Bordeaux, est arrivé avec sa volonté légendaire et une attitude juste : « Faites de votre mieux de ce très beau terroir pour viser l’excellence. » Cette liberté qu’il nous octroie est une grande chance, car elle nous permet d’être flexible, réactif et innovant. 

Du côté du vignoble et au chai, quels ont été les grands changements ?

L’ancien maître de chai avait repéré en 1998 une pépite au chai : Fabrice Bacquey. Formé et sensibilisé à toutes les facettes de Phélan Ségur, Fabrice a pris la relève en 2012. Son parcours témoigne de belles histoires humaines qui prennent vie au sein de la propriété. 

En 2022, Stéphane Rougé a rejoint l’équipe en tant que responsable du vignoble pour apporter une touche supplémentaire à la viticulture vertueuse en place. Son expertise permet à la propriété de poursuivre ses efforts et d’améliorer la qualité des vins. Parallèlement, nous avons renforcé la biodiversité existante avec la plantation de 5 000 arbres en sept ans sur nos 114 hectares. 

Au chai, aujourd’hui, nous bénéficions de l’expertise de Julien Viaud et suite à l’arrivée de Michel Roland en 2007, nous avions mis en place des vinifications intégrales pour certains lots. Nous utilisons le tri optique pour une meilleure sélection de chaque parcelle et, depuis 2020, nous fermentons avec les levures naturellement présentes sur les raisins à chaque millésime. Ces actions ont porté leurs fruits, comme le montrent les résultats en dégustation : nous obtenons des vins précis, brillants, éclatants. Dans cette quête du détails et de l’excellence, nous n’abandonnons pas le soutirage à l’esquive pour le grand vin. La prochaine étape dans cette quête consistera à faire évoluer le cuvier en installant des cuves plus petites représentatives du parcellaire. Toutes ces actions sont portées pour la volonté de Philippe tout en nous laissant une grande liberté d’actions pour apporter de l’attention à chaque détail et viser encore plus haut. 

Enfin, l’une des évolutions notables est l’augmentation du nombre de femmes dans nos équipes, notamment à la vigne, avec une mise à niveau des salaires pour des tâches équivalentes. Les programmes de compagnonnage tels que L’Ecole de la Vigne ou Les Vignerons du Vivant nous ont permis de recruter des jeunes en décrochage et de les faire grandir au sein des équipes. Cette initiative a abouti à deux emplois confirmés.

Quel état d’esprit règne chez Phélan Ségur ?

Lorène Babin (Chargée de la communication) : Il y a une forte cohésion au sein de notre petite équipe. Nous sommes une vingtaine au vignoble, six au chai et une douzaine au château. Chacun est libre d’apporter ses idées, ce qui génère un esprit « intrapreneurial » très valorisant. La notoriété et la reconnaissance acquises par Phélan Ségur au fil des années créent une énergie et une motivation passionnantes.

Véronique : Nous veillons également à une cohésion interne. A titre d’exemples, nous déjeunons tous ensemble régulièrement et chacun fait un point sur son activité à l’ensemble de l’équipe pour renforcer la cohésion dans le projet. Nous sommes une petite équipe par conséquent, chacun doit être polyvalent et interchangeable pour faire pulser le quotidien de la propriété. Le parcours de Lorène est un bel exemple. Elle est arrivée en tant qu’alternante après une formation juridique. Au fil des années, elle s’est créée son poste. Bien que mon management soit parfois direct, mes équipes savent que je suis engagée à leurs côtés pour atteindre nos objectifs. Je rappelle souvent que l’entreprise n’est pas une famille. Nous sommes là pour atteindre des objectifs ensemble. C’est en créant de la réussite que les gens sont heureux. Au-delà, de l’aspect management, l’éloignement géographique de Saint-Estèphe peut être un désavantage, mais je mets un point d’honneur à ce que les équipes soient à la propriété. Il faut la vivre pour en parler ! 

Quel a été le moment le plus difficile que vous ayez vécu à Phélan ?

Le moment le plus difficile a été de garder la confidentialité lors de la cession de la propriété entre 2016 et 2017. La famille Gardinier m’a demandé de continuer à diriger l’entreprise tout en préparant la vente, sans que personne ne le sache. J’en ai perdu le sommeil, préoccupée pour l’avenir des équipes et de la propriété.

 

Quel serait votre plus beau souvenir ?

J’en ai des centaines : des images de vignerons heureux, une belle note reçue, ou encore une visite dans un vignoble. Ce sont des moments qui valorisent tout le travail accompli.

Y a-t-il des millésimes qui vous ont marqué ?

1955, 1961, 1990 sont des millésimes extraordinaires. Parmi les récents, 2020 est mon favori. C’est la première année où les quatre cépages majeurs, y compris le Petit Verdot, entrent dans l’assemblage final. Ce millésime d’un raffinement extrême se distingue par ses arômes floraux et fruités, ainsi que par des tanins poudrés et ciselés, des termes que Fabrice Bacquey, maître de chai, aime utiliser.

Comment aimez-vous parler des vins de Phélan Ségur ?

Je suis vice-présidente de l’ODG de Saint-Estèphe, j’aime ce terroir et sa diversité d’expression selon les propriétés. La structure tannique est la signature de Saint-Estèphe. Quand je suis arrivée à Phélan Ségur, j’ai aimé sa forme austérité, ce côté retenu, discret, qui en fait un compagnon de table idéal. La viticulture que nous menons nous permet de récolter nos cabernets à maturité. Cela apporte une touche en plus à l’équilibre, la finesse et la fraîcheur. Nous avons gagné en amabilité avec des notes gourmandes et digestes.

L’ADN de Phélan Ségur, c’est également la gastronomie. Les Gardinier (Maison Taillevent, Drouant…) ont insufflé cet aspect, et nous l’avons conservé avec un chef à demeure, Jean-Luc Beaufils. Nous proposons un déjeuner exclusif au château pour les clients qui souhaitent vivre l’expérience des vins Phélan Ségur. Pour les professionnels, c’est un atout de pouvoir les recevoir autour d’une table et nous mettons un point d’honneur à prolonger le plaisir, même si cela les fait repartir plus tard que prévu. Ce cadre privilégié met en valeur nos vins et nous offre la possibilité de tisser des liens profonds avec nos visiteurs. 

Équilibre, fraîcheur et précision sont les maîtres mots de Phélan Ségur.

Véronique Dausse

Quelle est votre vision de l’expérience client ?

J’ai toujours cherché un équilibre entre ouvrir les portes du château et préserver l’intimité de cette propriété familiale privée. Je suis convaincue que la visite des chais, la dégustation en cours d’élevage ou le partage d’un repas autour de nos vins sont des moments idéaux pour faire vivre une expérience mémorable aux visiteurs. Créer du désir est un travail subtil, surtout pour une propriété comme la nôtre, où les vins sont accessibles. 

Après la rencontre de chaque personne, nous attachons une importance particulière à garder un lien personnalisé grâce à un outil de CRM que chacun a pour responsabilité d’enrichir. Chaque détail compte et le contact est enregistré avec un maximum d’informations pour personnaliser nos échanges. Cela demande du temps, mais c’est payant. L’expérience client doit se prolonger au-delà de la rencontre. 

 

Flot de conscience

Un film : Out of Africa de Sydney Pollack.

Une musique : Hôtel California, Bohemian Rhapsody de Queen et la musique classique, particulièrement l’opéra. Pour moi, la musique doit raconter une histoire.

Un livre : Belle du Seigneur d’Albert Cohen.

Une activité ressourçante : aller à un concert d’opéra ou de musique classique. Tout simplement mettre les mains dans la terre. 

Un millésime : 2014 à Phélan Ségur, l’année où nous avons attendu aussi longtemps la maturité des cabernets pour la première fois.

Un plat : le lièvre à la Royale.

Une bouteille mémorable : Salon 2002, car j’aime le champagne, et Clos Saint Hune 2000.

Un cépage : le chenin blanc. J’ai eu la chance de déguster un Clos Rougeard — c’était magnifique.

Une odeur : le buis et le figuier.

Un dimanche parfait : il commence par un concert le vendredi, des amis à dîner le samedi, et le dimanche, je prends le temps de lire le journal avec un café au réveil. C’est une bulle intime en famille, une journée où règne la liberté du lieu, même si je travaille parfois.

Photos et propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux

 

Intéressé pour en savoir + ?

Contactez un conseiller Vignobles et Châteaux pour obtenir des renseignements concernant les vins liés à cet article.
Nous contacter