Rencontre avec Constance et Edouard Vauthier

L'esprit Ausone - Saint-Emilion

Du duo sœur et frère entre Constance et Edouard se dégage une alchimie évidente : une complicité fraternelle empreinte de fluidité et d’énergie, où chacun trouve sa place tout en partageant une même direction : celle de préserver et d’élever l’Esprit Ausone, porté par la famille Vauthier depuis 1690. 

L’esprit Ausone rassemble six propriétés emblématiques toutes à Saint-Émilion et gérée par une seule équipe : Château Ausone avec sa Chapelle d’Ausone, Château La Clotte, Château Moulin Saint-Georges, Château de Fonbel, Château Simard et Château Haut-Simard. 

Soudés et fidèles à l’héritage de plus de 1600 ans, avec les poèmes d’Ausone datant du sixième siècle, sur ces terroirs uniques, ils tracent leur chemin en toute indépendance, au cœur même de l’excellence.

Discrets et déterminés, ils s’entourent et innovent pour faire face aux caprices du vivant et aux fluctuations des marchés, avec une rigueur et une passion où rien n’est laissé au hasard. 

Vous avez pris d'autres chemins avant de revenir sur les propriétés familiales. Qu’est-ce que ces expériences vous apportent dans votre quotidien ?

Constance – Lorsque j’ai intégré ma classe préparatoire, j’avais le choix entre une carrière d’agronome ou de vétérinaire. J’ai opté pour la médecine vétérinaire, avec une spécialisation en soins équins, notamment dans le milieu des chevaux de course où la compétition et les enjeux financiers sont considérables. En revenant à la vigne, j’ai retrouvé un rapport au vivant, mais sans cette pression constante. Grâce à cette expérience professionnelle précédente, j’ai appris la rigueur scientifique et surtout l’adaptabilité : chaque situation est unique et demande une réaction rapide. Cette logique s’applique parfaitement à la viticulture, où les décisions doivent être prises en fonction de multiples facteurs, souvent sans délai, tout en restant ancrées dans une analyse à long terme.

Édouard – Après mon école de commerce, j’envisageais de suivre une formation technique, mais la vie en a décidé autrement. J’ai suivi mon épouse Camille en Asie, aux Philippines puis à Shanghai. Là-bas, j’ai rejoint des importateurs-distributeurs, me retrouvant en bout de chaîne, au contact direct des clients finaux. Cette expérience m’a offert une vision très concrète de la distribution des vins de Bordeaux et d’autres régions. J’ai développé une capacité d’analyse du marché et des stratégies pour dynamiser les ventes. En revenant en France, ma sœur Pauline était déjà en charge des aspects techniques de la propriété, alors j’ai naturellement pris en main le volet commercial et les relations avec les négociants. Aujourd’hui, avec Constance, nous formons un duo aux compétences complémentaires : je pilote la distribution et la commercialisation, tandis que toutes les décisions techniques sont prises ensemble.

Quel était votre état d'esprit à votre arrivée ?

Édouard – De retour en France en mai 2019, j’ai tout de suite intégré l’équipe avec beaucoup d’enthousiasme. J’étais heureux de rentrer et de pouvoir apporter ma contribution, surtout dans un domaine où la partie commerciale était très éclatée avec une distribution mondiale.

Constance – En août 2020, j’étais pleine d’énergie et déterminée à tourner la page de ma carrière de vétérinaire. En parallèle de ma formation en viticulture et œnologie, j’ai plongé dans la gestion des dossiers juridiques et administratifs. Pendant deux ans, on me faisait part des difficultés et je devais trouver des solutions. C’était stimulant, surtout lorsqu’on voit les choses avancer.

Comment s'organise aujourd'hui le travail en famille et avec les équipes déjà en place ?

Édouard – Je ne sais pas si tout le monde était heureux de nous voir arriver, mais ils étaient rassurés de voir que l’esprit de la famille perdurait. Nous avons pris le temps d’écouter les équipes, de comprendre leurs problématiques et de chercher ensemble des solutions. La confiance s’est installée naturellement. Nous avons défini une vision commune et tout le monde avance dans la même direction : viser l’excellence dans nos vins.

Constance – J’avais des appréhensions, notamment sur ma légitimité. Finalement, nous avons été très bien accueillis. Thierry, notre maître de chai, se souvenait de moi enfant, patinant autour des cuves, et de Édouard qui faisait du cerf-volant devant le chai à Simard. Ces souvenirs ont créé une continuité rassurante auprès des équipes.

Quels sont les défis actuels et futurs ?

Constance – Nos enjeux sont multiples : innover, s’adapter aux changements climatiques, réduire notre impact environnemental tout en maintenant un niveau d’excellence dans nos vins. Chaque millésime exige une succession de décisions et d’ajustements. Nous analysons en permanence notre travail pour nous améliorer.

Mon père nous apporte beaucoup par son expérience et ses observations. Il nous aide à éviter certains écueils et à gagner du temps. La viticulture impose une temporalité très différente de celle de la médecine vétérinaire. Ici, nous mettons parfois en place des processus dont les résultats ne seront visibles que plusieurs années plus tard. Il faut apprendre à se mettre au rythme de la vigne.

Vous avez regroupé récemment l’ensemble des propriétés sous “L’esprit Ausone” : que représente cet héritage ?

Constance – L’unité est évidente, car nous dirigeons ensemble avec Édouard les six propriétés, toutes situées à Saint-Émilion, et nous travaillons de façon transversale entre elles.

Édouard – Cet héritage est une chance. Nous avons la responsabilité d’un vignoble qui figure parmi les grands noms de Bordeaux. Cet héritage repose sur un savoir-faire que nous avons acquis auprès de notre père et des équipes, ainsi que sur des moyens technologiques qui nous permettent de perfectionner nos crus. Le Château Ausone reste la référence absolue, où chaque détail est traité avec une précision d’orfèvre.

Notre mission est d’améliorer ce patrimoine exceptionnel. J’y pense chaque jour : nous sommes la onzième génération, et nous travaillons déjà pour la suivante. Nous avons quarante ans devant nous pour perfectionner l’ensemble des vignobles de L’esprit Ausone, et je suis convaincu que nous y parviendrons bien avant !

L’esprit Ausone, c’est aussi un engagement à préserver l’identité de chaque propriété. Nous avons choisi de ne pas modifier la taille des parcelles, même si cela implique de gérer sept cuvées distinctes.

 

Qu’est-ce qui fait selon vous la force de L’esprit Ausone ?

Constance – Sa force réside dans une histoire qui continue depuis onze générations de vignerons. Bien entendu, le Château Ausone en est la pierre angulaire, mais c’est l’ensemble de nos vignobles qui porte cette vision d’excellence et d’engagement. Nous nous inscrivons dans cette continuité avec la volonté de toujours aller plus loin.

Edouard – Dans l’esprit Ausone, nous avons l’excellence des grands terroirs de coteaux calcaires à astéries et l’humilité du travail d’un matériel végétal plus jeune. Cela nous oblige à une remise en question permanente, à garder les pieds sur terre et à l’exigence absolue.

Comment définiriez-vous chacune des propriétés ?

Château Ausone

Edouard – Un terroir à la limite du magique, donnant naissance à des vins d’une densité et d’une complexité incroyables. Un équilibre unique entre sol calcaire, exposition idéale et savoir-faire familial.

Chapelle d’Ausone

Edouard – Chapelle d’Ausone est la cuvée confidentielle, façonnée avec la même exigence et le même savoir-faire que le grand vin du Château Ausone. Son cœur repose sur les plus jeunes vignes de la propriété, âgées d’environ 15 ans, orientées plein Est, ainsi que sur la partie haute des coteaux argilo-calcaires à astéries, situés à l’entrée sud de Saint-Émilion. Avec sa texture veloutée, Chapelle d’Ausone exprime une élégance accessible dès sa jeunesse tout en reflétant l’âme et la signature de Château Ausone.

Château La Clotte

Constance – Acquise en 2014, cette propriété repose sur un superbe terroir exposé plein sud sur le coteau calcaire. Une parcelle a été replantée avec le matériel végétal qui a fait ses preuves sur les terroirs voisins. Ce cru est en pleine évolution, et nous avons de grandes ambitions pour l’avenir. Sa particularité ? Un chai de vinification et d’élevage installé dans les carrières. Ce choix technique, adopté en 2018, bien que contraignant, s’est imposé naturellement. Depuis, notre connaissance du terroir s’est affinée, nous permettant de vendanger à juste maturité et de vinifier par secteur, comme à Château Ausone. Depuis le millésime 2020, la qualité s’affirme, révélant le meilleur du terroir. Une pépite confidentielle, rare et précieuse.

Château Moulin Saint-Georges

Edouard – Un cru chargé d’émotion : c’est avec le millésime 2001 que j’ai rencontré Camille, mon épouse, et nous ne nous sommes plus quittés ! Ce vignoble de coteaux repose sur des sols argilo-calcaires à la même altitude que Château Ausone, juste en face. L’équipe est la même, avec les mêmes maîtres de chai et de culture. Ce vin, où le merlot domine, se distingue par son rond, gourmand et charmeur, tout en restant plus accessible en prix.

Château de Fonbel & Château Simard

Constance – Ces propriétés sont au cœur de nos réflexions, 80 % du travail se faisant à la vigne. Ces terroirs, plus sensibles aux aléas climatiques (gel, maladies), nécessitent une gestion minutieuse du feuillage, de la charge en grappes et de l’entretien des sols, millésime après millésime. Nous appliquons les mêmes méthodes que sur les grands terroirs, tout en utilisant Fonbel comme un laboratoire d’expérimentation, notamment sur les cépages. Les Cabernet Sauvignons plantés ici par notre père et Pauline sont une source précieuse d’expérience, nous permettant d’anticiper les évolutions climatiques et de prendre les bonnes décisions pour l’avenir.

Notre mission est d’améliorer ce patrimoine exceptionnel. Chaque jour, je pense au fait que nous sommes la onzième génération, et nous travaillons déjà pour la suivante.

Edouard Vauthier

Qu’est-ce qui vous émerveille le plus sur la propriété ?

Constance – Le lever du soleil au Château Ausone est un moment magique. Cela donne une atmosphère particulière qui te connecte instantanément à la nature et à l’histoire de la propriété.

Édouard – Quand le brouillard de la Dordogne envahit le vallon de Fongaban, tu as la sensation d’être au sommet du monde en arrivant au bureau. C’est une image saisissante qui te rappelle la beauté et l’importance de ce terroir.

De votre passage dans la vie de la propriété historique, qu'est-ce que vous aimeriez que l'on n'oublie pas ?

Édouard – Je n’ai pas envie de laisser une trace personnelle mais plutôt que la qualité des millésimes que nous aurons réalisés soit reconnue, dans 60 ou 80 ans. J’aimerais transmettre un vignoble et un microclimat sains, un environnement propice à la croissance des générations futures, afin que tout le monde continue de grandir en bonne santé.

Quels sont les futurs projets de construction ?

Constance – Nous avons une équipe de six personnes dédiées aux travaux, dont cinq maçons. Après avoir focalisé nos efforts au Château La Clotte sur les aspects techniques du chai dans les carrières et de la vigne, nous entamons la réhabilitation de la maison semi-troglodyte à l’entrée du chai, pour en faire un espace de dégustation. Ce projet, lancé en 2022, devrait permettre de recevoir nos clients dès 2028.

Édouard – Ce nouvel espace est fondamental pour nous. Il est important de rappeler que le Château Ausone est avant tout un outil professionnel, mais l’habitation de nos parents. Les visites restent primordiales pour nous, et elles sont toujours faites par un membre de la famille, garantissant ainsi un lien direct et authentique.

Dans quel état d’esprit envisagez-vous les prochaines années ? Quels sont les défis auxquels vous faites face ?

Édouard – Nous abordons l’avenir avec sérénité, ce qui est primordial selon moi. Il est vrai que nous traversons une crise viticole mondiale, et des adaptations sont nécessaires tant au niveau de la production que de la consommation. Nous avons toujours cru au négoce, en choisissant des partenaires de confiance, et cela fonctionne bien. En ce qui concerne le vignoble, je suis confiant. Les vignes sont bien entretenues, les équipes sont motivées, et les vins sont bons. À nous de préserver le potentiel de notre terroir et de notre plante, tout en faisant les meilleurs vins possibles à chaque millésime, pour transmettre notre savoir-faire aux générations futures. 

Quelle est la décision la plus délicate que vous ayez eu à prendre ?

Constance – Ma reconversion a été une décision difficile, mais qui aujourd’hui s’avère être une grande source de satisfaction.

Édouard – Le passage à l’agriculture biologique pour tous nos vignobles, a été une décision lourde et cruciale prise par Pauline en 2020. J’étais déjà présent au domaine à ce moment-là, et cette orientation nous occupe énormément aujourd’hui. C’est un défi permanent et gratifiant.

Quels vignerons vous inspirent ?

Édouard – La famille Guinaudeau est une source d’inspiration majeure. Leur travail à la vigne, la révision de la stratégie commerciale et la refonte de l’organisation de leurs propriétés sont remarquables.

Quel est votre plus beau souvenir ?

Constance – Ce sont ces petits instants d’épiphanie pendant les vendanges, lorsque tu réalises que tout se passe parfaitement bien avec l’équipe et que tu es en communion avec le paysage. Ces moments-là sont spéciaux.

Édouard – L’un de mes plus beaux souvenirs reste la visite du Prince Albert de Monaco à la “maison”. Nous avons dégusté Château Ausone 2009 et 2010, et ce fut un moment privilégié. Le souvenir reste magnifique et unique.

Flot de conscience

Constance / Edouard :

Musique : I heard it through the grapevine, Creedence Clearwater Revival / John Lennon. 

Un plat signature : le poulet rôti / magret de canard au barbecue. 

Une personne avec qui vous rêveriez de dîner : mon arrière grand-mère / Nelson Mandela 

Quelle bouteille choisiriez-vous pour ce dîner ? Château Ausone 2022 / Vega Sicilia Unico 1998  

Une destination :  Napa en Californie / Patagonie pour randonner 

Une croyance ou un mantra :  « Ça semble être la meilleure solution, donc lance-toi !. » / « Je pense à ce qui peut être dramatique pour conjurer le sort. »

Une mauvaise habitude : la procrastination, (rires) ça doit être quelque chose dans nos gênes.

Un plaisir simple : le temps passé avec mes enfants / Être entouré de gens souriants et positifs.  

Propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux
Photos : Sarah Arnould & Marie-Pierre Dardouillet
Illustration : Briddie O’Byrne

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