Rencontre avec Pierre-Olivier Clouet

Château Cheval Blanc - Saint-Émilion

Aujourd’hui, nous avons le plaisir de pousser les portes du Château Cheval Blanc à Saint-Émilion avec son directeur général, Pierre-Olivier Clouet. 

Dès l’arrivée, la simplicité du lieu contraste avec la grandeur du nom Cheval Blanc qui flotte dans les esprits. Tout est élégant, ordonné et accueillant. Il y règne un air de “comme à la maison” avec les bottes alignées à l’entrée, les livres en tous genres fleurissants à chaque recoin et l’atmosphère studieuse qui s’organise autour de la cheminée à l’accueil. Pierre-Olivier nous reçoit. Un café, un bonbon à la menthe, pour se mettre en jambe, et il nous embarque dans la vie du cru Cheval Blanc avec la même aisance qu’il façonne des vins, c’est à dire spontanéité et précision. 

Il nous dévoile le management empreint de proximité et d’authenticité, ancré dans une expérience terrain riche. Un état d’esprit que les propriétaires cultivent afin de donner des ailes au cru, sans renier son histoire et de laisser les équipes faire un pas de côté pour se réinventer, un subtil jeu de jambes. En tant que membre du groupe LVMH, Cheval Blanc se positionne comme un acteur majeur du changement de l’industrie viticole et cette responsabilité va au-delà de l’engagement en faveur de l’agroécologie et de l’agroforesterie. Il se livre sur sa relation presque fusionnelle avec le Cabernet franc et aussi, sur le projet unique de Petit Cheval Blanc avec une question en fil rouge : “Si Cheval Blanc était un vin blanc, quel serait-il?” Un moment fort dans sa carrière. 

La rencontre avec Pierre-Olivier souligne la connexion intime entre l’homme, la terre et le vin; et révèle la profondeur de cette propriété d’exception.

Vous avez été promu Directeur Général de Château Cheval Blanc en 2023, quel est votre style de management?

J’ai commencé en tant que stagiaire en 2004. Je participais à la taille, je tirais les tuyaux … Aujourd’hui, je dirige la boutique mais on continue à m’appeler Pierrot et à me tutoyer. Toutes les barrières se sont levées naturellement et surtout sans le décider. Cette forme de légitimité change beaucoup de choses dans le management avec les équipes. C’est un réel atout car nous avons de nombreux challenges devant nous !

Comment définiriez-vous l’esprit Cheval Blanc ?

Nous avons des propriétaires qui gèrent Cheval Blanc telle une maison familiale. Ils prennent des décisions à long terme avec une vision patrimoniale. Toutefois, les dirigeants et les gens qui font le vin viennent de l’extérieur. Il est donc essentiel dans ce contexte là de trouver une capacité à transmettre et de laisser des graines pousser dans l’équipe pour prendre le relai. À Cheval Blanc, la continuité a un sens très fort.

Quelles sont les ambitions de la propriété?

Notre objectif est de faire grandir le cru Cheval Blanc sans pour autant cumuler le nombre de maisons que l’on détient. Nous avons intégré Quinault l’Enclos à Saint-Émilion, Cheval des Andes en Argentine et développé Petit Cheval Blanc. L’enjeu d’une maison comme Cheval Blanc est de pouvoir continuer à accueillir des nouveaux dans la famille tout en restant agile avec une âme de vignerons et sans avoir à se structurer comme une entreprise. Une question primordiale : quelle est la taille critique ? Ce point de bascule où nous perdons la réactivité dans la prise de décision. Nous savons que faire du vin, c’est un ressenti de terrien où il n’y a ni recettes, ni protocoles.

 

Quels sont les piliers de la Maison ?

Notre alpha et notre omega reposent sur faire un grand vin sincère qui reflète le lieu et le millésime. Nous pouvons ensuite construire plein de choses autour car ces fondamentaux sont solides.

Qu’est-ce qui rend Cheval Blanc si unique?

Cheval Blanc, c’est 53 parcelles, 10 natures de sols, un cabernet franc majoritaire, une vision de la maturité alliant fraîcheur et délicatesse, un tannin jamais appuyé, pas de recettes de cuisine, ni d’extraction, ni de produits oenologiques, ni de technologie dans les chais, en revanche un travail méticuleux à la vigne. Nous sommes à la fois le Château de Versailles et une galerie d’art contemporain où l’on crée continuellement. Notre ambition n’est pas de dire que Cheval Blanc doit être le même qu’au 18ème siècle, même si nous sommes dépositaires d’une histoire incroyable de plus de 200 ans. L’enjeu est de montrer que nous avons des ailes et que nous sommes capables de réinventer le cru. 

Comment cela se traduit-il au quotidien?

Aujourd’hui, le labour n’est plus pratiqué. Hier, l’objectif était de ramasser le plus tard possible. Désormais, on se bat face à un climat déréglé et chaud. Tout change ! Il faut donc intégrer ces nouvelles données pour préserver les fondamentaux de Cheval Blanc tout en le faisant évoluer dans son temps avec les attentes de la société, tout en faisant le vin de la plus belle façon possible avec la nouvelle génération ou tout en apportant satisfaction à nos clients à Hong Kong, Singapour ou Mexico qui n’ont pas la possibilité d’avoir une cave voutée.

En quoi consiste l’agroécologie?

Au-delà de l’agro-foresterie, l’enjeu de l’agroécologie nous intéresse plus particulièrement et dans sa définition la plus large. Le problème de ces termes est qu’ils sont à la mode et donc irritants… on finit par se censurer !  

À la propriété, le sujet de l’agroforesterie repose sur trois piliers que nous avons défini dans notre manifeste : 

La fertilité naturelle des sols par le non-labour. Nous pensons que le labour a été un vecteur de destruction dans le monde agricole bien plus que les engrais minéraux et pesticides.

L’arbre a toujours été l’ami du paysan. Il a rendu de multiples services pour se chauffer, héberger de la biodiversité, fabriquer de la matière organique, récupérer de la ressource en eau, se nourrir … La biodiversité se fabrique par les paysans en permettant de donner le gîte et le couvert à l’ensemble du monde vivant. Nous faisons notre part même si 39 hectares sont insignifiants pour piéger le carbone de la planète ! Nous dépensons des milliards pour capter le carbone alors que le meilleur aspirateur, nous le connaissons tous. C’est l’arbre ! Il suffirait d’augmenter tous les ans de 4 pour 1000 la matière organique dans les sols pour mettre notre bilan carbone planétaire à zéro.

La polyculture. En 1890, les cartes de Cheval Blanc indiquent des co-cultures de fruitiers et de vignes. Nous avons replanté différemment et nous produisons sur la propriété des fruits, légumes, viande … car nous voulons faire notre part dans la diversification des cultures. Toutefois, soyons honnêtes, nous n’allons pas gagner notre vie en vendant des fruits. La monoculture est le début de tous les ennuis. Si vous mettez mille vaches nourries avec du soja dans un hangar, c’est évident qu’il y aura des problèmes. Quand on se met au pied du village de Vosne Romanée ou de Saint-Emilion et que l’on regarde ces magnifiques vignobles classés au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, personne ne s’offusque de ne pas voir une graine de céréale, une haie ou un animal. Nous avons organisé une magnifique monoculture… 

Quelles responsabilités a-t-on quand on fait partie du groupe LVMH?

Nous avons la chance d’être détenus par des familles visionnaires, installées et solides financièrement. Nous avons donc la responsabilité, le loisir et la possibilité d’écrire la société de demain. Nous avons un levier énorme entre nos mains pour essayer d’impacter le changement des modes de culture ou de la bascule agricole bien plus que viticole en France. Il y a une forme de responsabilité liée au fait que l’on peut financièrement mais aussi que l’on dispose de la ressource humaine. Nous sommes attractifs pour nos clients et aussi pour les jeunes qui sortent des écoles. Nous sommes très attachés à financer la recherche fondamentale parce qu’on y croit.

Quels sont les enjeux de demain ?

La grande question pour nous est : qu’est-ce qu’une maison comme Cheval Blanc peut apporter à son territoire, sa filière ou sa région? Nos vins sont vendus à 80% à l’export. C’est merveilleux mais comment ramener cette richesse sur le territoire ? C’est un enjeu sur lequel je n’ai pas de réponse. 

En revanche, nous disposons de deux grandes forces. La légitimité. On peut nous détester, mais on ne peut pas nous taxer de ne pas être sérieux. À nous de la mettre au service d’une bascule solide des enjeux agricoles et sociétaux. Ensuite, nous avons un porte-voix. Lorsque nous prenons position, nous sommes écoutés. Ce sont deux choses fondamentales que nous devons mettre au service de la filière qui va très mal aujourd’hui. Il est difficile pour autant de savoir ce qu’il faudrait faire.

Quelle relation avez-vous avec le Cabernet franc ?

Commençons par un peu d’ampélographie. Le Cabernet franc s’écrit sans majuscule à franc car il s’agit d’un adjectif. Il est le père des cépages bordelais. Il a été croisé avec le Sauvignon blanc pour donner le Cabernet Sauvignon et avec la Madeleine des Charentes pour le Merlot. Avant le phylloxéra à Bordeaux, il y avait principalement du Malbec et du Cabernet franc mais ce dernier a disparu en raison de sa difficulté à être cultivé. C’est en quelque sorte une diva. Il chante très bien mais il a un caractère épouvantable.

Quand vous le ramassez trop, il est vert ;  trop tard, il est cuit ! Il déteste la pluie mais aussi la sécheresse. C’est un cépage fantastique mais il n’a pas de plasticité agronomique et donc ne supporte pas les terroirs médiocres. En revanche, il a la chance d’avoir été peu cloné par les pépiniéristes. 

Dans les années 80, Pierre Lurton a lutté pour préserver cet encépagement de Cabernet franc face à la mode des vins boisés. Cette décision visionnaire est une chance pour nous aujourd’hui. Comme disait Coco Chanel, “la mode se démode mais le style perdure.”  

Le Cabernet franc est en quelque sorte une diva. Il chante très bien mais il a un caractère épouvantable. 

Pierre-Olivier Clouet

Quel est l’avenir pour ce cépage qui revient sur le devant de la scène ?

Le Cabernet franc va être un écueil immense pour le monde du vin. Il est à la mode et tout le monde le veut car il serait la solution miraculeuse face au réchauffement climatique car il est frais, élégant. Mais tout le monde oublie qu’il déteste la sécheresse !  Il sera adapté sur des terroirs argilo-calcaires mais aucunement sur la grave ou les sables. Nous faisons un raccourci qui sera très douloureux car les décisions de plantation aujourd’hui auront des conséquences dans 20 ans. Le monde du vin est très sensible aux modes tout comme la pâtisserie, la danse pourraient l’être. Mais dans le vin, cela différencie les vins de terroir, des vins de créateurs. 

En 2014, vous avez commercialisé le premier millésime de Petit Cheval "Blanc". Quelle a été la volonté de ce projet auquel vous avez contribué dans sa globalité?

Tout est parti d’un désir de nos propriétaires, notamment d’Albert Frère quand nous avons acheté La Tour du Pin. Il souhaitait un vin blanc, une cuvée plaisir à partager en famille. En 2009, nous avons donc surgreffé un demi hectare de blanc sur des rouges. Cela n’avait rien d’un grand vin. Au bout de deux ans, le projet prenait une autre impulsion. Dorénavant, les propriétaires souhaitaient que l’on travaille sur un grand vin blanc à Cheval Blanc. 

Pierre Lurton a alors proposé à l’équipe de réfléchir à ce projet avec une question en tête : et si Cheval Blanc avait été un blanc, qu’aurait-il été? Les fondamentaux ont été la complexité, le potentiel de garde et  la densité. 

 

Quel est le style recherché pour ce Sauvignon blanc?

Le fil conducteur est un vin blanc fait par des winemakers qui ont un logiciel de vin rouge. Cela veut dire qu’au vignoble, nous avons une faible vigueur, des petits raisins, un effeuillage au levant… Nous cherchons à éteindre les excès aromatiques du Sauvignon blanc pour rechercher davantage la complexité. Denis Dubourdieu avait une très belle expression pour illustrer le fait que l’intensité est l’ennemi du dégustateur :  “ce n’est pas parce que vous parlez fort que vous dites des choses intéressantes.” Nous faisons des élevages longs de 20 à 22 mois sur lie totale en foudre et cuve bois de 15 à 30 hectolitres et un peu en demi-muids. Le résultat, que l’on aime ou pas d’ailleurs, est un vin qui a son style, une certaine répétabilité et un parti pris fort d’être la déclinaison en blanc de notre rouge.

Que vous a apporté ce projet en blanc?

Se voir proposer un tel projet de zéro dans une maison avec 200 ans d’histoire et des vins au niveau de Cheval blanc est exceptionnel. On nous a permis de faire un pas de côté sans renier l’histoire de Cheval Blanc. Nous avions de gros risques à prendre pendant cette création et Pierre a été très exigeant avec les équipes pour que l’intégrité de la marque Cheval Blanc reste intacte. Il faut aussi rappeler qu’un tel projet est aussi une manière de garder une équipe impliquée, volontaire et fidèle. Cela est fédérateur.

Est-ce que le travail d’un vin blanc a modifié votre approche générale de vinificateur ?

Oui, c’est évident que nous ne faisons plus de rouge de la même manière ! Vous pouvez en parler avec Julie et Baptiste au Château Lafleur. Le blanc demande une grande précision de la gestion du bois, de l’oxygène ou de clarification. Quand nous démarrons la vendange des rouges, nous avons déjà 250 hectolitres de jus blanc vinifiés, goutés et travaillés en cave. 

Vous avez également d’autres propriétés à Bordeaux et en Argentine, quelles sont les interactions ?

Quinault l’Enclos et Cheval des Andes sont des projets différents et merveilleux notamment à un titre. On les a toujours imaginé au démarrage comme des crus ou des maisons qui avaient la chance d’avoir l’équipe de Cheval blanc qui se penchait sur eux. Avec le recul des années, ces crus sont une chance pour Cheval Blanc ! 

En Argentine, cela fait 10 ans que nous faisons des vins avec 200 millimètres de pluie et des températures à plus de 35 degrés pendant un mois de l’année. Avec l’équipe, nous connaissons ces contextes difficiles et puis, nous faisons deux millésimes par an. De quoi garder le rythme ! Quinault l’Enclos, c’est une façon de rester humble. C’est en quelque sorte notre équivalent de l’appellation “village” à la bourguignonne ! 

Quels ont été les temps forts de votre carrière ?

La construction du nouveau chai en 2011 a été le début de l’histoire de cette nouvelle équipe qui invente le Cheval Blanc de demain. À 28 ans, je me suis retrouvé à diriger les gens qui avaient été mes maîtres de stage. Pierre ne m’a pas imposé de changer ce qui était en place, mais plutôt d’inventer ce que l’on allait faire le lendemain. Quel serait le chai de Cheval Blanc de demain ? Cela a été une chance incroyable d’écrire une nouvelle page blanche. 

Le gel en 2017 a été un autre moment marquant, même si mon revenu et ma vie n’en dépendent pas contrairement à d’autres collègues. Cela a été une épreuve car nous avons perdu la moitié de la récolte. J’ai pris conscience pour la première fois de notre fragilité et de l’hyper dépendance à la climatologie. L’enjeu climatique est la problématique de demain. Il va falloir que l’on accepte de prendre de nouvelles voies sans les éprouver car nous n’avons pas le temps. 

Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ?

Aujourd’hui, le monde agricole au sens large m’inspire beaucoup. Avec l’équipe, nous dégustons et rencontrons beaucoup d’autres vignerons. Nous nous sommes beaucoup construits à travers les échanges viticoles. Aujourd’hui, on apprend plus en discutant avec des éleveurs de porcs, des céréaliers qui font de la semence ancienne, avec des boulangers traditionnels, des brasseurs, des apiculteurs, des maraîchers … 

 

Portrait

Livre : L’homme qui plantait des arbres, Jean Giono 

Film : La gloire de mon père

Musique : du classique, cela me pose

Odeur : la bergamote

Plat : la blanquette de veau

Millésime : 2011 pour Cheval Blanc. C’est un vin incompris et cela m’a beaucoup agacé car c’est un très grand Cabernet franc. Ce millésime ramène à l’humilité que doivent avoir tous les producteurs que la notoriété de leur vin n’est pas dû à leur opinion. Ce point est très personnel, mais nous n’avons pas d’impact sur la perception du millésime par le marché. 

Une bouteille mémorable : Il y a quelques années, nous avions dégusté à l’aveugle un Château Rayas blanc avec l’équipe. Arnaud de Laforcade, directeur commercial, a sorti le vin en deux secondes alors qu’il était le seul à ne pas être un technicien autour de la table et qu’il n’en avait jamais bu avant. C’était un moment mémorable de dégustation !

Photos et propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux

 

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