Rencontre avec Marielle Cazaux

La Conseillante - Pomerol

La lune éclaire encore les vignes de Pomerol. La promesse de l’aurore est pourtant bien là. C’est à cette heure que nous rejoignons Marielle Cazaux et l’équipe de La Conseillante. L’odeur du café embaume la petite cuisine nichée à l’entrée de la cave. La fumée des tasses attise les conversations et, en quelques minutes, le ballet de la journée est organisé, fluide, simple et efficace.

Marielle Cazaux, directrice générale de La Conseillante depuis 2015, infuse une énergie oscillant entre le dynamisme d’une femme exigeante, la sensibilité paysanne et la convivialité. Il y a des rencontres où la dégustation du vin devient une alchimie avec la personnalité de l’équipe, emmenant chaque millésime à sa plus belle expression. La Conseillante fait partie de ces grands vins où la vibrance va au-delà du terroir et de son histoire. C’est une histoire d’hommes et de femmes qui se trame derrière l’étiquette. Marielle nous parle avec spontanéité, sensibilité et simplicité de sa vision en tant que directrice d’un cru aussi prestigieux à Pomerol.

Quelle est votre histoire?

Je suis convaincue que nous sommes faits d’où l’on vient. J’ai grandi à la ferme, entourée d’animaux, dans les Landes avec un père agriculteur. J’ai très vite été sensibilisée au vivant que l’on cultive pour se nourrir, avec une approche paysanne, pas toujours scientifique.

Au début de mes études, je souhaitais me diriger vers le métier de parfumeur. Pendant mes années en biologie et mathématiques, j’ai côtoyé des enfants de viticulteurs, ce qui a piqué ma curiosité. J’ai commencé par des stages pendant les vacances et, finalement, j’ai changé de voie pour m’orienter vers un diplôme d’œnologue.

Ma première expérience dans le grand bain était au Château Suduiraut à Sauternes. Ensuite, j’ai eu la chance d’être recrutée en tant que directrice d’exploitation en Côtes de Bordeaux, sur 38 hectares avec peu de moyens. Une expérience formatrice et également un tremplin. Après un passage à Pessac-Léognan, j’ai rejoint l’équipe de Petit Village de 2012 à 2015. Un temps bref, car j’ai été chassée pour diriger La Conseillante. 2024 marque mon dixième millésime !

Quelles sont vos inspirations du moment ?

Je réalise qu’au fil des années, je reviens à une forme d’artisanat dans un esprit de ‘less is more’. Depuis que je suis à La Conseillante, j’ai pris un virage pour revenir à l’essentiel avec des gestes ancestraux. Par exemple, nous attachons la vigne avec du vime et avons abandonné l’ajout de soufre ou de bactéries en vinification, utilisant celles de nos vignobles à la place.

La réflexion est plus globale et moins centrée sur l’esthétique pure ou des habitudes héritées sans les remettre en question. L’idée est aussi d’être moins interventionniste, avec moins de passages dans les rangs et d’accepter la diversité dans les vignes. Au début, notre tractoriste, Julien, était très déstabilisé car on lui demandait de ne passer qu’une fois par mois ! Mais les bénéfices visibles sur l’équilibre de la plante ont permis d’ancrer ces changements dans l’esprit de l’équipe.

En parallèle, nous restons très ouverts à la technologie. Nous utilisons des drones pour surveiller la vigueur de la vigne et ainsi ajuster les traitements. Nous étudions également le signal électrique du flux de sève de la vigne retranscrit par une IA qui nous indique si la plante est en stress hydrique ou non. Ces actions très novatrices nous permettent d’ajuster nos actions et nos décisions agronomiques.

Quelle est la décision la plus courageuse que vous ayez prise à la Conseillante ?

Elle m’a d’ailleurs empêchée de dormir plusieurs nuits… L’arrêt du soufre en vinification en 2015 ! Nous faisions beaucoup d’expérimentations avec l’ISVV (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin) sur des barriques en vinification intégrale. Cet essai était en place, apportait satisfaction, et fort de cette expérimentation, Patrick, le maître de chai, m’a lancé : “Si cela fonctionne, faisons des cuves sans soufre !”. En 2016, toutes les cuves ont été conduites de cette façon. Cela ne s’improvise pas et demande un suivi précis et maîtrisé.

J’ai eu des moments de stress, mais aujourd’hui, je n’utilise plus du tout d’ajout de soufre en vinification et je ne me verrais pas revenir en arrière. L’ajout de soufre se fait très tard, après les fermentations malolactiques. Cela demande beaucoup de surveillance, c’est sans filet, mais ça paye. Cette prise de décision, avec les enjeux d’un grand cru, était un acte courageux de la part de l’équipe.

Je pensais également à la décision prise en 2017 d’avoir loué un hélicoptère pour protéger la propriété du gel, bien que tous mes voisins se moquaient de moi. “T’es folle ! Il ne gèle jamais à Pomerol !” Dix jours plus tard, l’annonce du gel était bien là, car c’était une lune noire de Pâques et mon père m’avait toujours dit que c’était les risques de gel les plus intenses. C’était de l’intuition.

Le travail d’équipe semble primordial pour vous. Quels mots utilisez-vous auprès de vos équipes pour les emmener dans la même direction ? Quel type de manager êtes-vous ?

Je ne fais rien toute seule. Je travaille en équipe. Je suis la première à arriver chaque matin et à ouvrir les portes. J’allume la machine à café et nous partageons un moment ensemble pour faire un point rapide sur la journée.

Un coach est très exigeant et je suis de l’école « marche ou crève ». Mes parents étaient des bourreaux de travail et m’ont transmis cette éthique. Je ne ressens jamais la fatigue et le travail me stimule. Cependant, ce n’est pas le cas de tout le monde, et j’ai appris à être plus à l’écoute grâce au coaching. Il est crucial de ménager l’équipe, de savoir quand il faut être sur le pont pendant plusieurs nuits pour lutter contre le gel et quand il est possible de relâcher la pression en l’absence d’urgence.

Le management s’accompagne de la rémunération et de la valorisation du travail des équipes. Nous avons la chance d’avoir une famille Nicolas très humaine, qui sait reconnaître et remercier le travail accompli. Cela renforce l’engagement des salariés envers la propriété, car ils savent pour qui ils travaillent.

Quelles sont les grandes qualités pour diriger la Conseillante ?

L’exigence. Chaque détail compte et il faut sans cesse les remettre en question. L’humanité. Il est essentiel de ressentir la vigne, d’être à l’écoute des équipes et de veiller à entretenir des relations avec les voisins pour pouvoir se dépanner, échanger et évoluer ensemble.

Quel est l’ADN de la Conseillante ?

La force de La Conseillante réside dans sa famille. La famille Nicolas, avec environ 150 millésimes à son actif, apporte une profondeur considérable à notre vin. Chaque année, l’assemblage est validé par la famille et voté à bulletin secret entre nous, ce qui est amusant car nous trouvons toujours un consensus.

La Conseillante est un vin qui a un pied à Pomerol et un autre à Saint-Émilion, aussi bien géographiquement que stylistiquement. La puissance du vin est contenue par des lots plus fins, avec des merlots et cabernets cultivés sur des sols graveleux, pas seulement sur argile. L’aromatique est la clé du vin de La Conseillante, avec des notes florales de violette et d’iris dans sa jeunesse. Avec le temps, des notes truffées se développent. Le crémeux en milieu de bouche, avec une grande longueur, donne une structure tubulaire avec une finale fraîche qui tend le vin.

J’aime dire que nous sommes à mi-chemin entre Petrus et Château Cheval-Blanc. Selon le millésime, nous penchons plus vers l’expression de l’argile ou des graves, mais nous restons un Pomerol atypique avec des tanins fins et de l’éclat, ce qui est ma quête !

Qu’est-ce vous fascine le plus à la Conseillante ?

Il y a des terroirs qui, sur le papier, ne sont pas des Rolls-Royce. D’un point de vue technique, faire des grands vins sur ces terroirs n’est pas une évidence. Est-ce le réchauffement climatique qui veut cela ? Sur des millésimes solaires, ces terroirs me bluffent ! En 2015, j’ai fait l’erreur d’exclure ces terroirs du grand vin. Au final, j’ai un Duo qui est éblouissant et un grand vin un peu trop “boule”, manquant de finesse. C’était mon premier millésime, et j’ai vite appris que ces terroirs apportent le raffinement au grand vin.

L’autre point que je ne saurais expliquer, ce sont les notes de cacao typiques de La Conseillante qui viennent d’une parcelle de merlot sur graves du côté de Certan, et celles de l’iris d’une autre parcelle de cabernet franc. Je sais aussi qu’il faut récolter la parcelle Dubuche merlot quand il y a un goût de pêche blanche à la dégustation des baies. Tous ces détails sont venus avec l’expérience, et cela me fascine.

Jusqu’où aimeriez-vous emmener la qualité des vins de la Conseillante ?

Jusqu’à l’infini et au-delà ! (Rires) J’aimerais surtout que les gens parlent avec émotion des vins de La Conseillante.

Nous sommes dans une phase ascendante à la propriété et nous cherchons à réaliser des millésimes constants, des grands vins. Cela passe aussi par l’ajustement d’une multitude de détails, comme l’introduction du cabernet sauvignon (0,8 ha planté) dans l’assemblage.  

Quelle anecdote ou histoire auriez-vous à dévoiler pour inciter à (re)déguster un vin de la Conseillante ?

Lors d’une interview que j’avais confiée à Patrick, le maître de chai, j’ai beaucoup aimé sa réponse à la question : “Qu’est-ce qui vous plaît dans les vins de la Conseillante ?” Il a répondu : “Oh ! C’est simple ! Quand c’est bon, c’est orgasmique !” J’en suis tombée de ma chaise. Mais c’est vrai que déguster La Conseillante est toujours une expérience unique et incroyable, oscillant entre l’aromatique et le crémeux en bouche de Pomerol.

Quel est votre plus beau souvenir à la Conseillante ?

J’en ai tellement… difficile d’en choisir un !
Je reviens au millésime 2017 et à l’épisode de gel où nous avons passé plusieurs nuits dans les vignes. Je me revois manger un sandwich au pâté au petit matin. L’aurore était magnifique. Il y avait des fumées un peu partout, nous étions soulagés car nous avions réussi. Pourtant, c’est une période que je déteste car c’est ultra stressant et dangereux pour les équipes. Ce sentiment de réussite partagée était un moment magnifique.

Un second moment plus récent serait lorsque nous avons reçu notre premier 100 points Parker sur le millésime 2020 et 2022. Un graal et aussi la récompense pour le travail sans relâche de toute l’équipe. Alors, je leur ai demandé ce qui leur ferait plaisir et ils m’ont répondu : un bon restaurant ! Nous sommes tous partis déjeuner Aux Belles Perdrix. Cela fait partie des beaux instants que j’ai vécus avec eux.

Portrait

Un film : « Kill Bill » de Tarantino. J’adore le personnage un peu Jedi.

Musique : Aretha Franklin.

Livre : « Louis Vuitton, l’audacieux » de Caroline Bongrand. Moi qui aime l’artisanat d’excellence, c’est un parcours de vie incroyable qui ne lâchait rien et accordait de l’importance à chaque détail.

Sport : Le yoga. J’en fais 10 minutes tous les matins pour mettre le corps en marche.

Un millésime : 2005.

Un plat : Un confit de canard… le canard, c’est la vie !

Une bouteille mémorable : Yquem 2016 et j’ajoute aussi Lafleur 2012.

Une odeur: Un champ de maïs après l’orage.

Un dimanche parfait: Un bon bouquin, un canapé ou un transat ! Le dimanche est réservé à la lecture.

 

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