Rencontre avec Ludovic Decoster

La Maison Cardinale - Saint-Émilion

À la rencontre de Ludovic Decoster de La Maison Cardinale à Saint-Émilion

Quel est votre état d’esprit en ce moment ?

Nous sommes très optimistes. Nous venons de clôturer 2023 avec une refonte majeure de l’entreprise, que nous avons renommée la Maison Cardinale pour refléter nos diverses activités. De plus, nous avons la chance de pouvoir compter sur les talents de Ludivine Chagnon, qui a rejoint notre équipe. Nous sommes donc très enthousiastes.

Pourquoi avoir choisi de scinder les deux terroirs en deux projets distincts ?

Nous avons souhaité nous éloigner de la tendance bordelaise classique d’agrandir les propriétés. Les deux terroirs sont très différents, et vouloir mélanger du froid et du chaud reviendrait à un résultat tiède qui n’est pas intéressant selon nous. Nous avons voulu mettre en valeur la singularité de chaque terroir, les sublimer dans leur spécificité plutôt que de les niveler dans une même cuvée. C’est en quelque sorte une réinterprétation, à la façon saint-émilionnaise, des climats bourguignons.

 

La notion de « vin de lieu » est-elle la nouvelle tendance à Bordeaux ?

Je pense qu’aujourd’hui, les consommateurs de vin ne se satisfont plus d’une étiquette institutionnelle vieille de plus de 200 ans, avec peu d’histoires à raconter autour. Les amateurs de vin sont curieux et toujours à la recherche de nouveautés. Personnellement, bien que je sois producteur de vins à Bordeaux, ma cave contient aussi des vins d’autres régions : la Vallée du Rhône, la Vallée de la Loire, et plus récemment des vins toscans issus de cépages autochtones.

Avec Château Fleur Cardinale et Château Croix Cardinale, nous offrons aux consommateurs l’opportunité de découvrir ce qu’une même équipe peut accomplir sur deux terroirs différents. Cette approche nous semble en parfaite adéquation avec leurs attentes. Nous allons beaucoup nous amuser à comparer les vins au fil des millésimes, et nous espérons que ceux qui apprécient notre travail prendront plaisir à les déguster aussi.

En quoi votre ouverture d’esprit à d’autres régions vous influence-t-elle dans votre approche ?

Dans votre question, vous mentionnez deux valeurs fondamentales pour nous : l’ouverture d’esprit et l’influence. Nous ne sommes pas une famille issue du sérail bordelais. Mes parents sont arrivés en 2001, après une carrière dans le secteur de la porcelaine. Nous travaillons de manière très traditionnelle et n’avons pas la prétention d’inventer de nouvelles techniques de vinification. Cependant, nous nous laissons influencer par ce qui se passe autour de nous, aussi bien à Bordeaux qu’au-delà.

Par exemple, en Italie, l’usage des amphores a été remis au goût du jour, même chose pour les élevages en foudres qui avaient disparu de Bordeaux et reviennent en force.

L’ouverture d’esprit se manifeste également dans notre manière de communiquer à La Maison Cardinale. Nous aimons partager notre passion pour la musique en allant du classique et du jazz jusqu’au hard-rock et au métal. Nous explorons tous les genres musicaux – il suffit de jeter un œil à la discographie dans nos locaux – pour évoquer nos vins. Notre clientèle est très diverse, internationale, et souvent jeune. C’est à nous de capter l’intérêt de ce nouveau public en dépoussiérant certains codes.

Quelles sont vos ambitions pour demain avec l’arrivée de Ludivine Chagnon au poste de directrice technique ?

C’est avant tout une belle rencontre. Le choix de Ludivine s’est imposé naturellement, car elle incarne pleinement nos valeurs. Elle a voyagé en Bourgogne, à Sancerre et au Chili, et cette sensibilité, cette ouverture d’esprit, vont bien au-delà de ses compétences techniques. Elle a immédiatement adhéré à notre projet : pour nous, un grand vin n’est pas seulement techniquement parfait, il doit aussi raconter une histoire. C’est ce qu’elle est venue chercher à La Maison Cardinale.

Aujourd’hui, le principal défi est de s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique. Nous devons trouver les solutions adéquates pour poursuivre dans la voie que nous avons choisie, notamment avec une viticulture ultra raisonnée sur nos 35 hectares de vignes en 2024. Le développement de La Maison Cardinale sur des terroirs frais et argilo-calcaires constitue un atout majeur dans cette adaptation. Ces sols absorbent les excès d’eau et, en période de sécheresse, ils fonctionnent comme une éponge, évitant ainsi un stress important pour la vigne. Cela s’accompagne de pratiques favorisant la biodiversité… Nous ne réinventons rien, mais restons à l’écoute de ce qui se fait ailleurs, afin de voir si cela peut s’appliquer à notre réalité.

Que ce soit en rouge ou en blanc, notre ambition est que les vins de Château Fleur Cardinale soient reconnus comme des incontournables de la rive droite. Pas nécessairement les plus chers ni les plus iconiques, mais des vins qui doivent figurer sur la carte d’un restaurant.

Quant aux vins de Château Croix Cardinale, produits sur 4,5 hectares, nous souhaitons qu’ils deviennent une des perles rares de Saint-Émilion, des vins recherchés par les connaisseurs qui aiment sortir des sentiers battus.

Être vigneron c’est adopter une attitude humble Prendre l’habitude de s’adapter Avant que la structure d’un vin ne soit noble Il y a tant de subtilités à capter.

Souleymane Diamanka

L’humilité s’invite dans vos mots et aussi à l’entrée avec cette citation du poète franco-sénégalais Souleymane Diamanka. Dans cet esprit, pourriez-vous partager avec nous vos satisfactions, mais aussi vos erreurs ?

Notre principal échec a été une mauvaise gestion de la pression du mildiou en 2023. Nous avons été dépassés par la situation. Cela dit, notre état d’esprit est combatif, et même si cette perte de récolte a été difficile, elle n’a pas compromis la qualité des vins. Nous avons su rebondir en recrutant Ludivine, ce qui nous permettra de continuer à évoluer et à grandir.

Ma plus grande satisfaction est très récente. Le soir du 6 décembre, nous avons réuni tous nos partenaires, courtiers et négociants, pour leur présenter le projet de La Maison Cardinale. Toute notre équipe était également présente pour partager ce moment et vivre avec nous le lancement de ce projet auquel ils contribuent quotidiennement. Mon épouse et moi étions dans le cuvier, devant une centaine de personnes venues nous écouter. Certains membres de notre équipe étaient émus aux larmes, et c’est seulement à la fin que nous avons réalisé l’impact de ce moment. Cela nous a profondément bouleversés. Nous avons créé quelque chose de beau et d’humain, qui va bien au-delà du terroir ou d’un grand vin. En parler encore aujourd’hui me touche énormément. Après une année si difficile, ce moment a renforcé notre conviction que nous pouvons compter sur une équipe solide à nos côtés.

La Maison Cardinale, c’est aussi un pôle réceptif à la propriété. Vous proposez une expérience sensorielle originale. Quelles étaient vos intentions de départ ?

Nous souhaitions que les personnes qui nous rendent visite vivent une émotion qui va au-delà d’une simple visite des chais avec cuves et barriques. Pour cela, nous privilégions des expériences privatives, afin que chacun se sente à l’aise. Nous avons mis en place des maquettes interactives, conçues par Caroline et fabriquées localement, pour expliquer le travail de la vigne tout au long de l’année. Lorsque nous demandons : « Vous voyez ce que je veux dire ? », les visiteurs peuvent désormais littéralement toucher et manipuler les objets, ce qui rend l’expérience plus concrète.

La visite se poursuit dans un couloir où nous avons recréé, à travers des effets visuels et sonores, les sensations que vit le vigneron à l’extérieur au fil des quatre saisons. Après avoir été immergés dans cette atmosphère, les visiteurs découvrent le vignoble. Cette approche leur permet de mieux comprendre notre métier et les étapes de l’élaboration d’un grand vin.

Nous avons également conçu un parcours sensoriel dédié aux enfants, où ils sont les héros. Ils sont invités, par exemple, à toucher une cuve en inox ou le bois d’une barrique pour jouer sur les textures. Ces sensations sont universelles, et nous tenons à les partager avec le plus grand nombre, y compris les personnes en situation de handicap.

Lors de la dégustation, nous proposons aux visiteurs de choisir le vinyle qui accompagnera ce moment et de s’installer où ils le souhaitent : sur un canapé, à une table haute, dans le jardin, ou même par terre. L’idée est que chacun puisse s’approprier l’atmosphère qui lui convient le mieux, afin de profiter pleinement de l’expérience.

À la fin de la visite, nous offrons une carte postale, permettant aux visiteurs de prendre un moment pour écrire un mot à un proche. Nous nous chargeons ensuite de la poster. C’est une manière de se reconnecter à la notion de temps, qui est essentielle dans notre métier de vigneron.

Nous avons également investi dans la réalité virtuelle pour continuer à partager notre message aux quatre coins du monde. Ce n’est pas seulement un outil technologique, mais un formidable support qui permet de plonger un sommelier, un caviste ou un amateur dans notre quotidien, même à distance. Bien sûr, cela ne remplace pas le contact humain, mais c’est un excellent moyen d’exploiter la technologie autrement.

Quelles sont vos inspirations pour aller chercher toutes ces idées ?

Eh bien, je les ai trouvées en janvier 2000, au lycée à Limoges : mon épouse ! Rires. Laissez-moi vous expliquer, mais cela nécessite d’entrer un peu dans l’intimité de notre couple ! Le matin, au réveil, Caroline me dit souvent : « Ah, j’ai pensé à une nouvelle idée ! » Et moi de répondre : « Tu m’agaces avec tes idées. » Puis le soir, avant de se coucher, elle revient à la charge : « Non mais je suis sûre que c’est une bonne idée… » Et moi, résigné : « Bon d’accord, vas-y, explique-moi. »

Caroline regorge de projets et est à l’origine de nombreuses initiatives : les éditions collectors, notre participation en tant que partenaire du Hellfest… Elle nous entraîne dans ses idées, tandis que j’ai plutôt le rôle de garde-fou pour éviter que cela ne déborde. Notre complémentarité se reflète d’ailleurs dans la dualité de nos vignobles à La Maison Cardinale. Et ça fonctionne plutôt bien !

Avez-vous un mot pour finir ?

Nous sommes tout simplement heureux de faire ce que nous faisons au quotidien, malgré les hauts et les bas, et de pouvoir le partager avec notre équipe. Nous nous considérons comme privilégiés. Diriger une propriété n’est pas un travail facile : il y a de nombreuses contraintes, c’est épuisant, et cela exige beaucoup de sacrifices. Ici, nous avons la chance d’avoir des bases solides pour surmonter une année difficile. Mais nous n’oublions pas que, à quelques kilomètres d’ici, de nombreuses vignes sont arrachées avec tous les malheurs que cela entraine. vignes sont arrachées… Il ne faut donc jamais se reposer sur ses lauriers. Cela me rappelle une conversation avec ma fille, qui m’a dit un jour qu’elle ne voudrait pas faire du vin plus tard, parce que « quand on fait du vin, on ne voit pas ses enfants ! » Avec ma femme, nous nous sommes regardés, et avons pris la décision de faire attention à être aussi présents pour nos enfants.

Portrait

Une musique que vous aurez choisie pour l’interview : j’ai envie de partir avec Airbourne, un groupe de rock australien qui fait du rock puissant, positif et très dansant. Le titre serait : Stand up for rock’n roll

Un film : Le cercle des poètes disparus est un film fondamental et j’ai hâte de le partager avec ma fille lorsqu’elle sera prête à en saisir toutes les nuances et le message fort qui se dégage de l’œuvre. On voit les étudiants dans ce carcan où un professeur vient tout dérégler en les poussant à être libres penseurs. 

Un livre : L’attrape-coeurs de JD Salinger. Au-delà de la noirceur du livre, c’est un livre qui aide à se construire. 

Une activité ressourçante : cela peut être étonnant mais pour faire sortir le trop plein d’énergie, ce serait quatre jours de festival rock. C’est une vraie rupture avec le rythme de l’année. 

Un millésime : 2019 car c’est un millésime bascule où nous avons vinifié dans le nouveau chai à Château Fleur Cardinale et qui est le premier sur lequel on a pu implémenter une ébauche de cette nouvelle vision. 

Un plat signature : des couteaux en persillade à la plancha

Une bouteille mémorable : J’avais 19 ans, c’était lors d’un repas avec mes parents :  Château Pavie 1986. C’est la première bouteille qui m’a fait comprendre ce qu’était un grand vin et qui m’a ému. 

Un dimanche parfait : une petite grasse matinée, la messe puis un déjeuner en famille ou avec les amis. 

Photos et propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux

 

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