Rencontre avec Blandine de Brier Manoncourt & Frédéric Faye

Château-Figeac - Saint-Émilion

Comment faire vibrer le nom de Figeac dans l’esprit des amateurs de vin, alors que tant d’articles en font déjà l’éloge – et à juste titre ? La réponse réside sans doute dans ces mots : « Quand on est sincère, cela se fait naturellement. »

C’est avec simplicité que Blandine de Brier Manoncourt et Frédéric Faye nous invitent à pénétrer l’univers du Château-Figeac. La récente accession au rang de Saint-Émilion Premier Grand Cru Classé A, un titre amplement mérité, n’a rien changé à l’objectif fondamental des équipes de la propriété : « faire des vins pour qu’ils soient bus. »

Cette rencontre reflète toute l’authenticité que l’on aime partager, enrichie de nuances personnelles qui tissent en profondeur cet échange.

Quelles sont les valeurs de la famille Manoncourt pour guider l’équipe de Château-Figeac ?

BBM : À brûle-pourpoint, je mentionnerais la notion de respect. Le respect de la terre, de ce qui s’y passe, des personnes qui y travaillent et qui interagissent avec nous. Nous devons cela à tout le monde.

L’approche Manoncourt à Figeac repose sur de nombreuses expérimentations menées par mon père, Thierry Manoncourt, ingénieur agronome et très novateur. Ce n’est pas tant la volonté d’innover ou de changer les choses que de comprendre pour s’adapter à la réalité. La notion d’accueil, d’échange et de partage est fondamentale pour nous. Nous faisons des vins pour qu’ils soient bus.

 

FF : J’ajouterais à cette liste la sincérité. L’objectif donné à l’équipe est clair : faire goûter un vin où l’on retrouve le lieu, le cépage, la pureté aromatique et le millésime. Cela passe par la pérennité du vignoble avec la confirmation de l’utilisation des clones et la conservation des trois cépages à parts égales. Il faut une vision à court terme pour le millésime en cours mais aussi à long terme avec une projection sur plusieurs générations pour préserver les sols. Cela se traduit aussi au chai. D’ailleurs, la famille a doté l’équipe d’un nouvel outil – un très bel investissement pour une entreprise familiale – pour retranscrire la mosaïque des terroirs dans des cuves de tailles adaptées, offrant des températures variées et de l’espace pour travailler correctement. Nous respectons également la filière et savons que les vins sont faits pour être consommés ; nous ne considérons donc pas nos clients comme des banquiers. La sincérité passe par tous ces détails, ces questionnements et ces réflexions.

Comment maintenez-vous l’équilibre entre innovation et tradition ?

BBM : Quand on est sincère, cela se fait naturellement. 

La propriété est dans la famille depuis 1892. Ce qui m’impressionne le plus, c’est que le lieu a conservé le même nom depuis le onzième siècle. Nous ne sommes qu’un maillon dans cette longue chaîne. Nous sommes au service de ce lieu qui est capable de produire de très grands vins. L’une des attentes, en tant que Premier Grand Cru Classé A, est de conserver cette authenticité. Nous marchons sur un fil : Figeac reste Figeac. Tout notre travail repose sur l’identité et l’affirmation de Figeac. L’innovation est dans notre ADN, car elle nous aide à tendre vers l’excellence.

 

Quelle est l’histoire de Figeac et de votre famille ?

BBM : Figeac appartenait à la famille de mon père, Thierry Manoncourt, qui y venait de temps en temps. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il est mobilisé, et à son retour de captivité en 1943 à Paris, ses parents lui annoncent que sa grand-mère, qui possédait Figeac, est décédée. Sa famille lui demande alors de se rendre sur place pour évaluer la situation économique dans ce contexte de guerre. C’est à contrecœur qu’il s’y rend, car il souhaite poursuivre ses études d’ingénieur agronome. Il a finalement cédé le temps des vacances. Il a écouté, observé, compris ce qu’était Figeac. De retour à Paris, il dit : “Je ne veux pas m’en occuper, mais oui, il y a un potentiel.” À la fin de ses études en 1947, ses parents lui demandent de mettre en place une équipe sur la propriété. En bon fils, il accepte de venir pour une année, mais ne souhaite pas vivre à la campagne. Vous connaissez la suite : il y passera toute sa vie. Le lieu l’a “pris”, soulevant la question de savoir si c’est le lieu qui nous appartient ou l’inverse.

FF : M. Manoncourt a également été l’un des membres fondateurs de l’Union des Grands Crus de Bordeaux en 1973. Il appréciait les vignerons de la région et d’ailleurs. C’est peut-être pour cela que Château-Figeac est l’un des rares vins de Bordeaux servi officiellement lors d’un Chapitre au Clos de Vougeot en Bourgogne.

Quelle est l’identité du vin Château-Figeac ?

FF : Ce sont trois cépages en proportions identiques, sur trois croupes de graves : Merlot, Cabernet franc et Cabernet Sauvignon, dont M. Manoncourt avait perçu le potentiel dès la fin des années 40.

Il n’y a pas de show-off : la sincérité prévaut. Lors de la construction du nouveau chai, seules des matières naturelles et nobles, déjà présentes à Figeac, ont été utilisées. Cela ne donne pas le goût du vin ! Le vin résulte de ces trois cépages plantés sur une mosaïque de terroirs avec quatre microclimats sur la propriété. La combinaison des trois est la clé de cet équilibre et de cette expression aromatique qui séduit dès le nez. On retrouve la rondeur du Merlot, l’élégance du Cabernet franc et la texture graphite du Cabernet Sauvignon.

 

Quel était votre état d’esprit à votre arrivée à Château-Figeac ?

FF : Je suis arrivé ici en tant que stagiaire en 2002, avide d’apprendre et de comprendre. Je me souviens de la première fois où j’ai dégusté Figeac : c’était le millésime 2001, encore en barrique. Dans l’ancien chai, j’ai été frappé par une explosion aromatique : fruité, fleurs, épices… En bouche, c’était franc, net, précis, avec la texture du Cabernet franc qui donne une longueur interminable. C’était aussi le reflet des sols légers et graveleux de Figeac, lui conférant un aspect aérien. C’est un tout ! Figeac est un lieu, une propriété agricole et viticole avec une famille qui en est propriétaire et y vit.

Quelle est la grande force de Château-Figeac?

FF : C’est un vaste domaine d’un seul tenant, avec une grande complexité de sols, de cépages et de microclimats. Nous sommes en permanence en train d’affiner notre définition de Figeac, tout comme l’a fait M. Manoncourt. D’ailleurs, je ne sais pas si un vigneron peut réellement définir son vin.

 

BBM : C’était l’une des cinq maisons nobles de Saint-Émilion au Moyen Âge, avec 200 à 250 hectares, mais cela a été morcelé notamment au XIXe siècle. Depuis que ma famille l’a achetée en 1892, cela n’a pas évolué : 54 hectares, dont 41 de vignoble.

 

FF : L’ensemble des 54 hectares étant classé en Premier Grand Cru Classé A. Certes, les plus beaux terroirs sont plantés, mais cela reste un lieu de vie que nous tenons à préserver. Le ruisseau qui traverse la propriété est comme une colonne vertébrale qui joue un rôle important sur les microclimats de la propriété. C’est une matrice complexe.

 

BBM : Dans cet esprit de stabilité, je mentionnerais aussi l’étiquette créée par le frère de notre grand-mère, Robert Villepigue, pour le millésime 1906. Nous avons encore les esquisses de ses dessins. Elle était novatrice : il n’y a pas de dessin du château. Il y a simplement “Château”, “Figeac” et “Saint-Émilion” avec le sceau : symbole de stabilité, d’engagement et de garantie de la famille. En 1953, mon père a ajouté dans le sceau les armes de sa grand-mère, qui avait acheté Figeac. L’étiquette n’a guère changé, hormis quelques évolutions liées aux techniques d’impression.

Qu’est-ce que le classement en Premier Grand Cru Classé A en 2022 a apporté à la propriété ?

BBM : La question est vaste. Ce n’est pas une révolution, mais cela nous apporte immédiatement la reconnaissance de ce qu’est Figeac. C’est le plus haut niveau d’excellence à Saint-Émilion. Cela conforte notre manière de travailler et nous incite à ne jamais nous reposer sur nos lauriers, quitte à valider ce que nous avons toujours pensé ou fait, ou bien à le modifier.

C’est aussi une responsabilité accrue vis-à-vis de l’appellation et des autres producteurs. Nous ne donnons jamais de leçons, mais nous savons que nous sommes observés, ce qui nous “oblige” dans une certaine mesure. 

Comment les décisions sont-elles prises au Château-Figeac ?

FF : J’aime que l’on travaille en équipe. Souvent, les réponses se dégagent naturellement et, bien entendu, s’il faut trancher, je le fais. Nous écoutons les équipes, et même les stagiaires ont leur mot à dire. En revanche, la famille a toujours le dernier mot.

BBM : Parfois, certaines personnes ont plus de poids dans la prise de décision parce qu’elles ont travaillé plus en profondeur sur un sujet. Toutefois, cela reste une décision collective. Nous apprécions que l’équipe se sente chez elle : les membres accueillent les visiteurs et créent des liens avec eux, comme nous le ferions.

Quels sont les grands sujets qui rythment la vie à la propriété ?

FF : La vendange est un moment essentiel, l’assemblage puis il y a la période des primeurs. L’enjeu est d’écouter le marché pour assurer un succès auprès des négociants et des consommateurs. Cela implique, bien entendu, d’avoir une grande qualité dans la bouteille, mais aussi de proposer un “bon prix” lors de la sortie en primeur pour susciter l’envie du consommateur. Une note de 100 points n’est qu’une étape.

Parmi les anciens millésimes, y a-t-il un millésime charnière ?

FF : Parmi les millésimes récents, 2015 a marqué un tournant, tant pour la vinification que pour la connaissance du parcellaire. Ce projet d’étude des sols, mené avec l’Université de Dijon, a pris fin en 2018. Ces travaux nous ont permis de valider les projets de construction de la nouvelle cuverie.

En 2015, nous avons opéré un virage vers davantage de précision et de pureté aromatique. Cela passe par de nombreux ajustements : des dates de vendanges très précises et un peu plus précoces, l’arrêt du soufre pendant les vinifications (il n’est ajouté qu’après la fermentation malo-lactique) et le passage aux bouchons anti-TCA.

Qu’est-ce qui vous fascine et vous inspire au quotidien à Figeac ?

BBM : La star, c’est Figeac. La propriété n’est pas personnalisée, peut-être parce que nous arrivons après Thierry Manoncourt et que, à son décès, beaucoup ont dit qu’il était l’âme de Figeac. Cela m’a un peu gênée, en toute franchise car ce n’est pas vrai. Figeac est toujours là ! Figeac ne se résume pas à une personne ou en trois mots. C’est la force du lieu.
FF : Reste humble ! J’adore arriver le matin à Figeac par l’allée, avec les rosiers sur le côté et les plantes qui ont toujours été là, il y a quelque chose d’authentique. Le soir, les couleurs sont fabuleuses. D’ailleurs, toutes les entrées et allées de Figeac sont ouvertes.

Quel est votre plus beau souvenir à Figeac ?

BBM : C’est un souvenir très fort et récent : le jour de l’annonce du classement. Nous étions dans l’attente, et la nouvelle tombe. Il y a cette accolade entre nous : Frédéric, Romain Jean-Pierre, le directeur technique, ma mère et ma sœur. On se congratule. Puis, c’est une procession qui grandit au fil des bureaux pour continuer au cuvier. Madame Manoncourt interpelle le maître de chai, et lui annonce la nouvelle toute fraîche. Nous étions en pleine vendanges et tout le monde savait de quoi il s’agissait. Les temporaires et les permanents étaient heureux ! L’histoire est longue, car Figeac est grand ! (Rires) Nous avons continué dans les vignes pour retrouver le chef de culture, Christophe. C’était très fort ! Le soir, nous avons fêté cela entre nous, avec toute l’équipe : un barbecue improvisé et de belles bouteilles. Cela s’éternisait. Nous ne nous quittions plus, malgré la vendange qui continuait le lendemain matin. C’était un moment de grâce.

FF : C’était fin septembre 2002, j’étais stagiaire et je travaillais au cuvier. M. Manoncourt passe et descend à la cave avec son panier en fer devant moi. Il remonte avec quatre bouteilles pour le déjeuner et une cinquième à la main. Il me demande de vérifier le millésime de cette dernière : “C’est bien ton année de naissance ?” J’ai trouvé cela d’une élégance incroyable, qu’il soit allé au bureau chercher l’information sur mon contrat de travail pour ensuite m’offrir cette bouteille en personne. J’ai trouvé cela tellement classe que j’ai gardé la bouteille, et je ne l’ai jamais ouverte ! J’en ai bu d’autres, mais celle-ci, je l’ai gardée en souvenir. Ce geste traduit tout le plaisir que l’on peut donner à un jeune qui débute.

 

 

Photos et propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux

 

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