Rencontre avec Sylvie Poillot
Depuis 2002, Sylvie Poillot accompagne le Domaine de la Vougeraie, propriété emblématique de la famille Boisset en Bourgogne. Créé en 1999, la propriété fait partie des pionniers de la biodynamie et compte aujourd’hui 177 parcelles réparties sur 52,15 hectares de Chassagne-Montrachet à Gevrey-Chambertin.
La singularité du domaine tient aussi à ses six monopoles, dont Vougeot 1er Cru Le Clos Blanc monopole. En Bourgogne, ces climats (ou parcelles) où vous êtes l’unique propriétaire dit monopole sont le saint-Graal.
Après un début de carrière comme sommelière au Bristol, Sylvie Poillot a apporté avec elle l’exigence du luxe et le sens de l’accueil à la Vougeraie. Sous sa conduite, où la rigueur et l’enthousiasme se conjuguent pour révéler l’âme de chaque parcelle, elle est accompagnée de son équipe : Jean-Luc Rousseau, Camille Leynaud-Prince et Timothée Gaussorgues. Tous partagent la même vision, celle de préserver l’identité des vins tout en ouvrant de nouveaux horizons.
Fidèle à l’esprit de la famille Boisset, elle insuffle à ses collaborateurs et à ses vins une énergie féline, elle est Lion, passionnée, précise, toujours en mouvement. Son attachement aux valeurs humaines et son sens du détail font rayonner le Domaine de la Vougeraie comme un acteur incontournable de la Bourgogne contemporaine.
Que ressentez-vous en ce moment ?
Je suis très heureuse d’accueillir le millésime 2025. Les années en “5” sont généralement favorables, et c’est une vraie bouffée d’optimisme après 2024… Je n’aurais jamais imaginé vivre un mildiou aussi violent : il a affecté non seulement la récolte, mais aussi le moral des équipes à la vigne. En biodynamie, c’est d’autant plus rude, car on sait que certaines pratiques exposent à la perte, surtout quand il pleut tous les deux jours.
Dans quel état d’esprit étiez-vous en arrivant au domaine en 2002 ?
C’était la création. Pascal Marchand était encore là. Il y avait une vraie effervescence mais aussi beaucoup de complexité, de flou. Il fallait structurer, organiser, tout était à faire, y compris la distribution. Mon rôle a été de mettre le domaine sur les bons rails.

Quel a été le déclic pour quitter le Bristol et revenir en Bourgogne ?
Je suis bourguignonne, issue d’une famille de vignerons, mes cousins sont d’ailleurs à Marsannay-la-Côte. Après mes études, je suis montée à Paris pour apprendre la gestion hôtelière, puis j’ai intégré le Bristol. J’y suis restée six ans, avant de gérer l’ouverture d’un hôtel à côté du Fouquet’s. On m’a proposé d’en ouvrir d’autres à l’étranger, mais j’ai senti que je voulais revenir à mes racines ce que j’ai fait en rejoignant mon frère dans le restaurant familial. Un jour, j’ai vu passer une offre pour un poste d’assistante commerciale au siège de la Maison Boisset. Je l’ai obtenu, et six mois plus tard, Monsieur Boisset m’a proposé la direction du Domaine de la Vougeraie. J’ai accepté sans hésiter : c’était un vrai défi, mais aussi un retour à mes premières amours de gestion.
Quel a été votre premier grand défi ?
La distribution. Il fallait convaincre pour construire des réseaux. En France, j’ai eu la chance d’être soutenue par des sommeliers extraordinaires, qui ont porté les vins du domaine sur les plus belles tables. Nous avions le même langage, les mêmes codes. Cela m’a beaucoup aidé. À l’international, j’ai tout construit seule, en autodidacte. Je me suis inspirée du modèle de la Romanée-Conti pour bâtir notre propre programme.
Quels ont été les moments forts pendant votre carrière ?
Le départ de Pierre Vincent en 2016 a été une vraie épreuve pour moi. C’était un binôme très complémentaire. Quand il est parti, je me suis retrouvée à gérer seule la partie viticole. Je me souviens encore de l’achat de mon premier enjambeur ! Il a fallu s’impliquer davantage avec les équipes. Le dialogue est devenu essentiel, ce qui au final s’est révélé être très bénéfique.
L’autre moment serait pendant le confinement de mars 2020 où il fallait faire face à cette inconnue et inédite. Dans ce contexte particulier, il a fallu s’adapter et tous les membres de la cave sont venus prêter main-forte à la vigne. Il était autorisé de travailler dehors alors j’ai rassemblé et uni toute l’équipe où c’était possible – moi aussi : ce fut un moment d’une grande cohésion humaine.

Quelles qualités faut-il pour diriger un tel domaine ?
Il faut connaître tous les métiers, et mettre les mains partout. Je comprends les enjeux, j’accompagne, mais je ne décide jamais seule. J’ai une équipe précieuse autour de moi : œnologues, chefs de cave, responsable d’exploitation… Pendant les vendanges, je suis sur le terrain, en cave toujours en contact avec les équipes et le raisin.
Comment embarquez-vous vos équipes au quotidien ?
Avec de la bonne humeur, toujours ! J’ai une énergie très matinale, je suis en ligne tous les jours à 6h15 avec le chef de culture. Je bois beaucoup de café… Pendant les vendanges, je mets de la musique ! Et surtout : j’aime ce que je fais. Je pense que le sourire et la motivation viennent de là.

Quelle a été la décision la plus délicate à prendre ?
Fixer la date des vendanges est toujours un moment intense qui demande énormément d’organisation. Mais en 2024, le plus dur a été de maintenir le cap auprès des équipes, malgré les pertes dues au mildiou. Il fallait être très présente, rappeler que la biodynamie implique des risques, mais que la famille et le domaine restent unis dans cette voie quoi qu’il advienne. Ce soutien est fondamental.
Quel est le secret de votre longévité ?
Je ne m’ennuie jamais. Chaque jour est différent, chaque millésime aussi. Il y a toujours du sang neuf, de nouvelles idées. Et puis les rencontres me nourrissent : hier encore, j’ai reçu un groupe de jeunes sommeliers passionnés, curieux, avides de comprendre. C’est pour cela qu’on fait ce métier.
Qu’auriez-vous aimé que l’on vous transmette à leur âge ?
Des savoirs techniques. Cette envie d’explorer, de comprendre les choses en profondeur.
Quel est l’esprit de la famille Boisset ?
Au départ, tous les vignobles étaient intégrés à la maison Boisset. Mais en 1999, la famille a voulu créer une entité à part : le Domaine de la Vougeraie. Le choix du nom vient des nombreuses appellations autour de Vougeot et bien sûr du monopole du Clos Blanc. Dès le début, ils ont décidé d’en faire un domaine en biodynamie. À l’époque, c’était audacieux : seuls quelques domaines avaient franchi ce cap.

Quel millésime a marqué un tournant dans l’histoire du domaine ?
En 2006, une vraie marche a été franchie avec l’arrivée de Pierre Vincent. Il a introduit un pressoir vertical pour les rouges, ce qui a donné une texture plus soyeuse, un style plus doux. Depuis, nous avons gagné en constance, en finesse, avec moins de bois neuf qui aujourd’hui, représente seulement 20 %.
Un détail que peu connaissent : notre bois pour les fûts vient de la forêt de Cîteaux. Nous allons choisir les troncs avec la scierie, puis les merrains sont séchés au domaine pendant trois ans. Pour le façonnage, nous confions nos merrains à cinq tonneliers pour garder une diversité de styles de fûts.
Quelle est la signature du Domaine de la Vougeraie ?
La pureté. L’éclat aromatique des vins est directement lié aux pratiques en biodynamie. À ce titre, aucun intrant n’est présent dans les vignes depuis 1999.
Le domaine compte six monopoles : est-ce le graal en Bourgogne ? Comment sont-ils gérés ?
C’est surtout une immense responsabilité. Chaque monopole est traité comme un enfant unique. Le Clos Blanc, par exemple, est vendangé en plusieurs passages, vinifié à part… À la dégustation, il ne ressemble à rien d’autre.
Nous avons dû bâtir sa notoriété : avant 1999, il était exclusivement vendu au Japon. Aujourd’hui, il est très demandé. Pour éviter les frustrations, nous avons mis en place une stratégie d’allocation, en petites quantités, pour préserver sa visibilité sur les marchés et construire ainsi sa notoriété.
Quels sont les bénéfices concrets de la biodynamie ?
L’aromatique est beaucoup plus précise, vibrante. Dès 2001, nous avons mis en place nos préparations, nos plantes, nos séchoirs… Ce sont des pratiques préventives, fondées sur les vertus naturelles. En cave, les bâtonnages se font en lune montante, par exemple. Mais la pluie reste notre principale limite : parfois, on ne peut pas passer en tracteur, alors les équipes y vont à pied. C’est un vrai investissement humain.
De quoi êtes-vous la plus fière ?
De mon équipe. De la belle ambiance qui y règne. Et puis… de voir nos vins sur de grandes tables dans le monde entier. C’est toujours un plaisir immense.
Un souvenir marquant ?
Il y en a tant… mais ce sont souvent les fous rires qui me reviennent.
Quels ont été vos mentors ?
Monsieur Boisset et Jasper Morris m’ont beaucoup apporté. J’ai une admiration absolue pour Aubert de Villaine. Et puis Christophe Roumier, Jean-Louis Trapet, Dominique Lafon… Ce sont des figures qui m’ont inspirée et accompagnée. Sans oublier mon mari qui est mon équilibre et ma fille, ma fierté !
Flot de conscience
Film : La Cité de la joie. Un film qui m’a profondément touchée.
Musique : Gims (je suis allée les voir en concert à Paris), Coldplay, Dire Straits, Pink Floyd, Bono…
Livre : Eugénie Grandet de Balzac. C’est ce roman qui m’a donné le goût de la lecture. Depuis, je lis énormément.
Une saison : le printemps. C’est là que tout recommence, que la vie se remet en mouvement.
Un plat signature : mon dernier en date : un poulet aux morilles. De façon générale, j’adore cuisiner.
Une personne avec qui dîner : un repas intime avec toutes les personnes qui ont compté pour moi, celles qui ont traversé ma vie et laissé une empreinte.
La bouteille pour ce dîner : tout sauf la Bourgogne, pour la surprise ! Peut-être un Barolo, un Vega Sicilia Unico… ou un Château Lafleur.
Une destination : la Mongolie, pour l’appel des grands espaces.
Un mantra : on peut toujours faire mieux, mais il faut savourer la chance de ce que l’on a.
Une mauvaise habitude : un peu trop de café le matin…
Un plaisir : me retrouver avec toute ma famille le dimanche. Rien ne me rend plus heureuse.
Propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet, Cépages communication pour Vignobles et Châteaux
Photos : Marie-Pierre Dardouillet